Local Gestures
because the personal is cultural
Formée en danse à l’Université du Québec à Montréal, Karine Denault fonde sa compagnie, L’aune, en 2001. Cherchant à déstabiliser le corps dansant, elle développe une esthétique de la physicalité, et une singularité corporelle qui advient dans les gestes, les attitudes, les états de corps et les actions. Ses pièces, exemptes de théâtralité classique, intègrent diverses disciplines artistiques et questionnent les codes figés de la danse ainsi que ses modes de production de signes et de sens. Parallèlement à ses activités de création, elle a été codirectrice de la maison d’édition Le Quartanier et conseillère artistique pour le Festival TransAmériques. Pourquoi bouges-tu? Pour me sentir vivante. Cette réponse peut paraître un peu clichée, mais c’est la plus sincère. Quelle est ta plus grande source d’inspiration en période de création? La littérature et les arts visuels m’accompagnent toujours. J’aime avoir la tête pleine de références, d’images, de liens de toutes sortes avant d’entrer en studio. Dans le quotidien, j’aime aussi observer les gens bouger, que ce soit les gens que je croise au restaurant ou dans la rue, pour essayer de comprendre des postures et des démarches qui me sont étrangères, ou encore les interprètes avec qui je travaille afin d’exacerber certaines attitudes corporelles. Pour L’échappée, le solo que je prépare en ce moment, il y a eu des recherches et des lectures préalables, mais pendant la création proprement dite je me suis laissée imprégnée de plein d’autres images et sensations. Je me suis par exemple beaucoup inspirée des musiques que j’ai choisies, des textures et des ambiances qu’elles évoquent, des images et des sensations qu’elles provoquent en moi. Pour mes précédentes pièces, j’invitais des musiciens à composer une musique originale et à la jouer live sur scène : danse et musique étaient créées en même temps. Cette fois-ci, j’ai plutôt choisi des musiques préenregistrées de groupes locaux et je les ai écoutées en boucle pendant la création. En fait, j’ai approché l’ensemble du projet de façon très sensorielle en m’inspirant de mon état du jour, de la force ou de la fatigue de mon corps, du sentiment de plénitude ressenti un soir en regardant les étoiles, de l’immensité d’un lac sur lequel j’ai fait du kayak pendant quatre heures, de la puissance émotive de ma voix... C’était important pour moi dans ce processus de laisser mon intuition guider mes choix, de cultiver qu’il n’est pas nécessaire de tout comprendre ni tout justifier. Que l’insaisissable – ce qui nous échappe – possède une force, une puissance que l’on ne peut pas expliquer rationnellement. Des commentaires (bons ou mauvais) qu’on a faits sur ton travail, lequel est resté avec toi? Un commentaire me suit depuis presque quinze ans. Une journaliste avait écrit à l’époque que j’avais une présence féline; d’autres l’ont repris par la suite, s’en servant pour m’introduire ou tout simplement pour faire image rapidement. C’est relativement stéréotypé comme commentaire mais il me plaît bien quand même. Encore aujourd’hui, je crois qu’il caractérise bien ma façon sinueuse de bouger parfois. De quoi es-tu le plus fière? Je suis fière d’être si bien entourée, de travailler depuis des années avec des artistes que j’admire et qui m’inspire. Leur confiance, leur implication, leur soutien sont hyper précieux. Sans eux, je ne serais pas où je suis et mes pièces ne seraient pas ce qu’elles sont. Quel a été ton premier amour en danse? Probablement ma professeure de ballet-jazz quand j’avais six ans. J’étais en admiration devant elle, je la trouvais si belle et si gentille. Je voulais lui ressembler, devenir danseuse moi aussi quand je serais grande. Elle m’a enseigné jusqu’à l’âge de dix ans environ. Elle nous faisait danser sur du Marvin Gaye, tout en déhanchés, en grands chassés et en catch step. Un vocabulaire pas toujours adapté à notre âge mais ouf… Des heures de plaisir que je prolongeais à la maison, seule ou avec mes amies à qui je montrais les mouvements que j’avais appris. Je ne crois pas qu’on soit très sérieux à cet âge quand on se projette dans l’avenir, mais à 13 ans j’avais encore en tête cette idée de devenir danseuse. J’imaginais aussi devenir joaillière : une joaillière qui danse. Quel est ton rapport à la critique? Mon rapport aux critiques publiées dans les journaux? Hum… Pas facile. Comme c’est le cas pour la plupart des artistes, je crois. Une critique négative peut me démolir, et en période de shows il n’est pas recommandé de s’effondrer. Sans blague, de façon générale je trouve qu’on accorde beaucoup trop d’importance à la critique. Elles nous donnent une visibilité, certes, mais le point de vue d’un journaliste n’est qu’une impression parmi plusieurs autres. Les commentaires de mes collègues, de mes amis, de gens que je ne connais pas qui osent m’aborder dans la rue pour me parler d’un de mes spectacles, sont beaucoup plus précieux. Quant aux commentaires critiques constructifs formulés lors d’une discussion, j’en ai besoin et je m’assure qu’ils fassent partie du processus de création. Ils peuvent m’aider à aller ailleurs, à chercher autrement, ou, au contraire, à réaffirmer une position ou un choix. Avec quel artiste aimerais-tu collaborer? Spontanément, ce sont des artistes en arts visuels qui me viennent en tête. Je suis totalement fascinée par le travail des artistes canadiens Shary Boyle (surtout ses figurines enchantées) et David Altmejd (sa pièce Le spectre et la main, avec les zèbres qui galopent, est totalement hallucinante!). Aucune idée comment une collaboration pourrait être possible ni quelle forme elle pourrait prendre, je me permets tout simplement de rêver. Plus près de moi, parce qu’elles vivent à Montréal et que je les connais, j’aimerais bien un jour collaborer avec les artistes Olivia Boudreau et Julie Favreau, qui travaillent toutes deux la vidéo. La façon dont elles abordent le corps et la présence me parle et m’intrigue. Je serais curieuse aussi de collaborer avec Yannick Desranleau et Chloë Lum (le duo Série Pop), qui ont commencé cette année une série de performances lentes et étranges avec leurs objets et installations. Avec mon amie Nadège Grebmeier Forget aussi, qui remet en question l’image de la femme dans ses performances. Qu’est-ce qui te motive à continuer de faire de l’art? Je continue parce que j’y crois encore. Je crois à l’importance de l’art dans l’absolu, et à l’importance de l’art dans ma propre vie. Il est essentiel aussi pour moi que les propositions artistiques que l’on met dans le monde ne soient pas uniquement des spectacles à grand déploiement et/ou du divertissement. Des expériences plus intimes, plus confrontantes aussi sont nécessaires. Un spectacle qui amuse mais qu’on oublie dans l’heure qui suit n’a pas une bien grande portée. Un spectacle qui dérange, qui fascine, qui fait réfléchir ou qu’on n’est pas certain d’avoir aimé, voire même qu’on a détesté, nous habitera plus longtemps. Je ne sais pas si les pièces que je crée fascinent ou dérangent, ni si elles font réfléchir, mais j’espère qu’elles ne laissent pas les gens indifférents. Quand je ne remets pas tout en question et ne me sens pas trop découragée par les obstacles (les subventions qui ne suivent pas toujours, les blessures qui adviennent ou refont surface, la compétition qui ronge notre milieu, etc.), je sais que je suis privilégiée de faire de la danse et de la création. L’échappée
21-23 octobre à 20h www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Étudiants ou 30 ans et moins : 22$ À propos de la photographe : Meryem Yildiz est née à Montréal. En plus de prendre des photos, elle écrit et elle traduit. www.meryemyildiz.com
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As my years as a dance critic pile on, it’s probably to be expected that I see more and more works I’ve already seen. This year, I can think of at least five off the top of my head. The one that most stood up to a repeat viewing was Matija Ferlin and Ame Henderson’s The Most Together We’ve Ever Been. I took the bus to Ottawa to see it just as a snowstorm was hitting the city. The ride ended up taking four hours. I barely had enough time to shove some of the worst food I’ve ever had in my mouth before running over to Arts Court, an old courthouse that has been turned into a beautiful art space. And, as soon as the show started, I knew it was all worth it. Back in Montreal, Israeli choreographer Sharon Eyal made a much-anticipated return after six years with Corps de Walk, a show she created with her partner Gai Behar. The uniformity she imposed on the twelve dancers of Norway’s Carte Blanche was oppressive and disturbing. It was its own indictment of homogeneity. At the Biennale de gigue contemporaine, the always reliable Nancy Gloutnez stood out yet again. With Les Mioles, she borrowed from classical music and became a conductor, turned her dancers’ feet into instruments, and composed a score reminiscent of Steve Reich in its obsessive build-up. After years of being one of the most rigorous emerging choreographers in Montreal, Sasha Kleinplatz has now fully emerged with Chorus II. The audience stood above six male dancers who swayed between demonstrations of physical strength and chill-inducing vulnerability. It is now up to venue artistic directors everywhere to shine on Kleinplatz the spotlight she so clearly deserves. Speaking of which, 2013 was the year of Agora de la danse. They probably had their best programming since I started following dance. It all began with Karine Denault’s Pleasure Dome, in which musicians and dancers explored pleasure without ever lazily resorting to shortcuts. Rather, she allowed the meaning of the work to emerge on its own and for Pleasure Dome to impose itself by the same token. It was followed by When We Were Old, a duo by Québec’s Emmanuel Jouthe and Italy’s Chiara Frigo (presented in collaboration with Tangente). The choreographer-dancers managed to bypass every single contemporary dance cliché that usually occurs as soon as a man and woman are onstage. In each and every moment, their encounter felt fresh and sincere. Agora ended the year with Prismes by Benoît Lachambre, who a month later would win the Montreal Dance Prize. Created for Montréal Danse, Prismes explored the effect of light on perception in a chromatic environment, as well as the fluidity of gender. Lighting designer Lucie Bazzo outdid herself for this highly experiential work. At the Festival TransAmériques, it was French choreographer Boris Charmatz who stood out with Levée des conflits, an opus of twenty-five movements repeated as a canon by twenty-four dancers. From the simplicity of the choreography to the high number of performers, Levée des conflits impressively hovered between minimalism and excess. I spent the summer in Iceland, where my trip ended with the Reykjavík Dance Festival. There, Norway’s Sissel M Bjørkli presented one of the most singular shows I’ve ever seen with Codename: Sailor V. It took place in a tiny space, barely big enough to seat fifteen. The smoke that filled the room along with Elisabeth Kjeldahl Nilsson and Evelina Dembacke’s intensely saturated coloured lighting blurred the edges of everything. Inspired by anime, Bjørkli created an alter ego for herself and through imaginative play managed to turn an office chair into a spaceship. That shit was magical. So was Nothing’s for Something by Belgium’s Heine Avdal and Yukiko Shinozaki, which opened with a ballet for six curtains, each suspended by six huge helium-filled balloons. Set to classical music, it was reminiscent of Disney’s Fantasia. For its finale, eight such balloons were left to float around the room while emitting breathing sounds, appearing like disembodied alien visitors. Soon after my return to Montreal, Marie Chouinard presented Henri Michaux : Mouvements. The genesis of this work, when Carol Prieur first incarnated the drawings of Henri Michaux back in 2005, is the reason why I’m a dance critic today. Seeing the twelve dancers of Chouinard’s company lend themselves to the exercise was just as riveting eight years later. By translating drawings into movement, Chouinard demonstrated the power of dance to think the body creatively. Usine C ended the year on a high note with their program from the Netherlands, most especially Ann Van den Broek’s feminist work for three female dancers, Co(te)lette. The show was powerful in its exposition of women’s bodies as a site of tension, torn between being objects of desire and embodied subjects. We can only hope that there will be more works like it in 2014. Si vous mettez une perruque, vous pouvez tout faire. Si vous ajoutez des lunettes de soleil, vous pouvez dépasser toutes les limites de ce qui est considéré comme un comportement acceptable. Le déguisement sert à camoufler certains aspects de soi pour permettre à de nouveaux d’émerger. Il en est de même de l’art. L’art est un mensonge qui révèle la vérité, Picasso a dit. Dans Pleasure Dome, la chorégraphe Karine Denault et les cinq autres interprètes (Dana Gingras, k.g. Guttman, Jonathan Parant, Alexandre St-Onge, Alexander Wilson) se cachent sous des perruques pour pouvoir aller au-delà du préconçu. Dès que l’on entre dans la salle de l’Agora de la danse, on le remarque; ce sont les trois danseuses qui se trouvent aux consoles de son, alors que les musiciens sont étendus sur le plancher. Après cette inversion des rôles, les interprètes marchent autour de la scène à quatre pattes. Certains se lèvent pour les guider pour un moment, pour ensuite retourner sur leurs quatre pattes et suivre le troupeau à nouveau. Les paramètres des rôles demeurent fluides, malléables, comme dans Cesena d’Anne Teresa De Keersmaeker. En laissant libre cours à leur id, les interprètes abandonnent leur ego, phénomène rare en performance scénique, et donc rafraichissant. En début de spectacle, Denault demeure coucher sur le plancher, s’efface. On avait déjà aperçu cet aspect de la chorégraphe dans son dernier solo, Not I & Others. Le plaisir, c’est aussi l’abandon de l’idéal – virgule – de la beauté. La beauté, si superficielle peut-elle être, pèse tout de même lourdement; le plaisir, quant à lui, est léger, comme les interprètes, qui semblent parfois flotter au-dessus de la scène, ou tout du moins au-dessus de nous, spectateurs assis directement sur le plancher. De façon surprenante (mais qui rejoint encore Cesena), le plaisir, aussi communautaire soit-il, demeure solitaire. Les interprètes se touchent rarement, mais le besoin d’une collectivité demeure nécessaire et indéniable. À intervalles réguliers, les interprètes retournent à un état contemplatif, comme s’il y avait toujours la possibilité d’un retour en arrière, d’un recommencement si le résultat est jugé insatisfaisant, à la manière d’un jeu vidéo. Rien ne doit être accepté comme étant définitif. Pleasure Dome aussi semble transitoire. Si on revenait la semaine prochaine, on ne serait pas surpris que ça l’ait une toute autre allure. Subjectif subjectif subjectif : j’ai une prédisposition pour un éclairage scénique minimale. Ça dramatise l’espace, surtout quand on veut tellement voir ce qui se passe. Je crois qu’ici aussi ça aurait pu avoir des effets bénéfiques. Ça aurait accentué l’espace entre les spectateurs et les interprètes; car malgré notre proximité (assis tout autour de la salle, nous sommes tous au premier rang), nous ne faisons pas partie de cet univers de plaisir. La distance virtuelle aurait souligné l’aspect participatif du plaisir; on ne peut pas compter sur les autres pour nous le transmettre. Le pleasure dome aurait paru tel le saint graal, une destination à atteindre, si on le désire. (J’aurais voulu qu’un des interprètes me donne la main, me donne la permission d’y entrer.) La plus grande force de Pleasure Dome est son refus du symbolique. Tout comme on ne peut parvenir au plaisir par un raccourci, le sens d’une œuvre d’art ne s’impose que s’il émerge de lui-même. C’est ici le cas. 6-8 février à 20h & 9 février à 16h Agora de la danse www.agoradanse.com 514.525.1500 Billets : 28$ / Réduits : 20$ |
Sylvain Verstricht
has an MA in Film Studies and works in contemporary dance. His fiction has appeared in Headlight Anthology, Cactus Heart, and Birkensnake. s.verstricht [at] gmail [dot] com Categories
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